Elisabeth StuderActualités, Economie, Energies, Matières premières10 commentaires
Alors que Chypre est au cœur des négociations entourant l’épineux dossier des potentielles réserves de la méditerranéenne orientale – lesquelles concernent ni plus ni moins que des pays tels que Turquie, Israël, Égypte, Liban, Syrie, Russie, Etats-Unis, Italie et France … le secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré jeudi à Nicosie qu’un accord pour mettre fin à la division de l’île méditerranéenne coupée en deux – entre partie turque et partie chypriote – depuis plus de 40 ans, était à portée de main. Sans que personne ne fasse ne serait-ce un instant une quelconque allusion à une éventuelle ingérence dans la politique intérieure de Chypre.
Une déclaration qui tombe également à pic …. alors que Russie et Turquie – fortement liées elles aussi mais de manière individuelle au dossier – viennent de suspendre jusqu’à nouvel ordre la construction du gazoduc Turkish Stream.
Comme si en quelque sorte la voie était désormais libre pour les Etats-Unis pour affirmer encore plus leur présence au niveau local.
En tout état de cause, s’adressant à la presse après avoir rencontré séparément les dirigeants chypriote grec et chypriote turc, John Kerry a déclaré être « plus convaincu que jamais qu’une solution à la division de Chypre est à portée de main ».
Ces derniers mois, il est devenu clair que la donne a commencé à changer et que des progrès tangibles ont été enregistrés, a par ailleurs affirmé le chef de la diplomatie américaine, « soulignant que son pays était focalisé au plus haut niveau sur la question chypriote ». Je n’en doute pas une seconde … alors qu’en août dernier le gouvernement israélien a approuvé un accord majeur conclu avec un consortium comprenant l’Américain Noble Energy. L’enjeu : l’exploitation de réserves de gaz naturel en Méditerranée. Nombre d’entre elles étant situées au large de Chypre et d’Israël …
Un accord – qui selon les termes mêmes prononcés jeudi par le premier ministre israélien lors de son annonce – devrait rapporter des centaines de milliards de shekels (1 shekel = 0,26 USD) aux Israéliens dans les années à venir. Tout en étant à l’origine de bien de convoitises …. voire de conflits ?
- Accord entre Chypre et Israël sur un potentiel majeur de réserves énergétiques
Rappelons en fin qu’en décembre 2010 un accord a été signé entre Israël et Chypre en vue de faciliter et de poursuivre les recherches off-shore d’hydrocarbures – de part et d’autre – dans la partie orientale de la Méditerranée … de gigantesques réserves de gaz ayant été alors découvertes dans la zone. Selon les contrôles de la commission gouvernementale israélienne mise en place pour gérer un fonds d’exploitation des ventes, les recettes prévues des gisements « Léviathan », « Tamar » et « Dalit » se monteraient à 100 voire à 130 milliards de dollars jusqu’en 2040.
Le groupe américain Noble Energy, alors principal opérateur du site indiquait alors pour sa part que les réserves du gisement offshore de gaz naturel au large d’Israël baptisé Léviathan étaient estimées à 450 milliards de m3.
« Cette découverte fait potentiellement d’Israël un pays exportateur de gaz naturel », avait alors souligné David Stover, haut dirigeant de Noble Energy, société basé à Houston, Texas. Confirmant ainsi les propos du le ministre israélien des Infrastructures nationales Uzi Landau. Lequel avait affirmé qu’ Israël pourrait devenir un exportateur de gaz … vers l’Europe … au grand dam de la Russie.
- Chypre : quand l’argent du FMI et de la BCE étaient mis en concurrence avec l’aide de la Russie
Chypre ferait-il jouer la concurrence en mettant dans la balance l’accès à ses formidables ressources gazières situées en off-shore ? Il est permis d’y penser … avuions-nous laissé entendre en septembre 2013 alors que Moscou et Nicosie venaient de signer l’assouplissement du crédit de 2,5 milliards d’euros accordé en 2011 par Moscou au gouvernement chypriote, et que le FMI faisiat à son tour preuve de largesses envers Chypre.
L’enjeu final du dossier ? Les licences accordées par Nicosi au majors pétrolières en vue d’explorer et d’exploiter les immenses champs gaziers off-shore de Tamar et de Leviathan, au demeurant fort prometteurs.
Le FMI avait ainsi annoncé avoir versé 84,7 millions d’euros à Chypre, annonce faisant suite à l’audit des comptes du pays mené par ses créanciers (FMI, Union européenne et Banque centrale européenne), après avoir reçu une aide financière internationale en mars 2013 de 10 milliards d’euros, dont 9 à la charge de la zone euro. Le tout comme il se doit en échange de son engagement à prendre des mesures drastiques en vue de restructurer son secteur financier.
Fin août 2013, le gouvernement russe avait quant à lui donné son feu vert à de nouvelles conditions du prêt accordé à Chypre, le taux d’intérêt devant être réduit dans ce cadre de 4,5 % à 2,5 %. Autre concession obtenue par la partie chypriote : l’étalement du remboursement en huit versements à partir de 2016 au lieu d’un seul initialement prévu, lesquels seront par ailleurs assortis d’une échéance semestrielle.
Cet assouplissement visait à alléger la charge financière pesant sur l’île, laquelle a frôlé la faillite avant que ne soit mis en oeuvre un plan de sauvetage via la troïka de ses créanciers. Une première version de ce plan, qui prévoyait une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires, avait provoqué la colère de la Russie, d’importants avoirs et de nombreuses entreprises russes étant basés à Chypre en raison de sa fiscalité avantageuse. Une seconde version a été ensuite adoptée, laquelle ne ponctionne que les gros dépôts de la première banque du pays Bank of Cyprus pour la recapitaliser, tandis que la deuxième, Laiki, a été mise en faillite.
Cette négociation entre Moscou et Nicosie intervenant alors que début août 2013, Dominique Strauss-Kahn avait re-trouvé un rôle on ne peut plus stratégique sur l’échiquier énergétique – mais également financier – mondial.
DSK est en effet rentré depuis lors au conseil de surveillance de la Banque russe de développement des régions (BRDR), une institution financière contrôlée par le géant russe du pétrole Rosneft. Lequel est au cœur du véritable combat que mènent la Russie d’un côté et Union Européenne et USA de l’autre en vue d’obtenir les « faveurs » de Chypre pour l’octroi de licences … en échange de souplesses financières de nature à alléger le poids de la dette chypriote.
Alors que nous laissions entendre à cette date que les deux parties – la Russie confrontée à la troïka via l’intermédiaire de la BCE – semblaient vouloir monnayer l’octroi d’un prêt salvateur … en l’échange de ces licences, nous ajoutions alors qu’il est loin d’être anodin que DSK rentre au sein d’une institution financière chapeautée par un géant gazier russe. Les sommes avancées par une simili « Rosneft Bank » pouvant être accordées en échange d’accès à des ressources énergétiques fort prometteuses. Ressources dont la Russie souhaite contrôler d’une manière ou d’une autre contrôler le volume d’exportations pour éviter qu’elles ne réduisent sa part de marché au niveau des approvisionnements mondiaux.
Sources : AFP, Ria Novosti, Europolitique, Le Monde
Elisabeth Studer – www.leblogfinance.com – 4 décembre 2015