Chypre fut conquise par les Latins entre le 6 mai et le 5 juin 1191, au cours de la Troisième croisade consécutive à la prise de Jérusalem en 1187 par Saladin. Quelques vaisseaux de la flotte de Richard Cœur de Lion, s’étant échoués accidentellement sur le rivage de l’île, le despote byzantin local, Isaac Doukas Comnène, qui s’était rendu indépendant de Constantinople, prétendait mettre la main sur les navires au nom du droit d’épave, semble-t-il, ce qui entraîna l’intervention militaire.
Ainsi Richard mit-il fin à plusieurs siècles de domination grecque sur Chypre. Désireux de poursuivre son expédition, ne pouvant laisser une garnison suffisante sur l’île, le monarque la céda aux Templiers pour 100.000 besants, dont 40.000 payés tout de suite. Pour rembourser le reste, l’Ordre mena une politique fiscale oppressive qui entraîna des révoltes, ce qui le conduisit à rendre l’île à Richard. Celui-ci la vendit de nouveau en mai 1192 au dernier roi de Jérusalem récemment détrôné, Guy de Lusignan, issu d’une illustre famille du Poitou, qui se déclara vassal du Plantagenêt.
Guy, seigneur de Chypre, fit venir de son ancien royaume de Jérusalem des Francs et des Syriens chrétiens pour assurer la présence latine dans une île dont la plupart des habitants étaient grecs, à l’exception des quelques marchands des comptoirs italiens. Ils furent rejoints par des chevaliers venus d’Occident avec la croisade Les chevaliers reçurent des fiefs pris sur les terres de l’ancien despote, de l’aristocratie et de l’Eglise grecques. Un régime féodal latin fut ainsi établi.
Le frère de Guy, Amaury II, ancien connétable du royaume de Jérusalem, lui succède en 1194. En 1195, il fit de Chypre un royaume, obtenant la couronne royale de l’empereur germanique alors que Richard, emprisonné à son retour de croisade, avait dû renoncer à sa suzeraineté. Le monarque mit progressivement en place des institutions inspirées à la fois de celles du royaume de Jérusalem et de l’ancienne administration byzantine.
L’Église romaine implanta ses structures dans le royaume latin, ce qui engendra une situation inédite, car elles devaient coexister avec celles de l’Eglise grecque préexistantes. Le pape créa en 1196 l’archevêché de Nicosie et les trois évêchés suffragants de Paphos, Limassol et Famagouste, l’Église orthodoxe restant quant à elle totalement indépendante avec son archevêché et ses quatorze évêchés suffragants. Peu après, au début du XIII
e siècle, fut entrepris le chantier de quatre cathédrales latines, dont il ne subsiste que la cathédrale Sainte-Sophie de Nicosie, la cathédrale de Famagouste et celles de Paphos et Limassol ayant complètement disparu. En outre, des communautés monastiques et canoniales furent établies à Chypre, comme les chanoines prémontrés d’Episcopia (Bellapaïs). Avec le chevet de Sainte-Sophie de Nicosie, c’est la seule église gothique subsistante remontant aux premières décennies du XIII
e siècle. Le clergé latin dut faire face à de nombreuses difficultés d’organisation, et les appels au pape furent fréquents durant cette période. La conjoncture n’était alors guère favorable à la multiplication des constructions religieuses latine, d’autant plus que le nombre des Latins établis sur l’île était faible et que le contexte politique était troublé. On se préoccupait plus des ouvrages défensifs, fortifications et châteaux.
Les successeurs d’Amaury, Hugues Ier (r. 1205-1218), Henri Ier (r. 1218-1254) et Hugues II (r. 1254-1267), accédèrent au pouvoir alors qu’ils étaient mineurs, ce qui entraîna des périodes difficiles de régence. Surtout, l’empereur Frédéric II, suzerain du royaume, intervint à partir de 1228 dans les affaires chypriotes, entraînant cinq ans de guerre. Sa défaite laissa l’île ruinée. Le pape Innocent IV, en conflit avec Frédéric II, délia Chypre de la suzeraineté de l’Empire en 1247. Après la mort de l’empereur en 1250 et l’élimination de ses héritiers, le titre de roi de Jérusalem échut en 1268 au roi de Chypre Hugues III (r. 1267-1284), qui unit les deux couronnes, même si la souveraineté sur la ville sainte, sous la domination des Mamelouks, était purement théorique. Les Lusignan s’étaient déjà beaucoup impliqués dans les affaires de la Terre sainte, soutenant les expéditions occidentales, en particulier celle de saint Louis, qui avait passé en 1248 l’hiver à Chypre avec son armée, avant de repartir pour Damiette accompagné par le roi Henri Ier et ses barons.
Au milieu du XIII
e siècle, les relations entre les Églises latine et grecque se tendirent fortement, les papes souhaitant ouvertement le rattachement du clergé grec chypriote à la papauté, arguant qu’il ne pouvait canoniquement y avoir deux évêques et deux clergés différents dans une même cité. Mais la population orthodoxe était fortement majoritaire. Localement, les conflits portaient sur des détails de culte
[1]. Le légat pontifical, le cardinal Pélage, imposa en 1222 de réduire de 14 à 4 le nombre des évêchés grecs, fixant leur siège dans d’autres villes que les évêchés latins et supprimant l’archevêché grec. Les évêques grecs étaient placés sous la tutelle des évêques latins. Une série de crises s’ensuivit, même si le pape assouplit ensuite quelque peu sa position
[2]. Cependant, les Lusignan, désireux de ne pas heurter leurs sujets grecs, majoritaires, appliquèrent très mollement les décisions pontificales, sans toutefois s’y opposer ouvertement, privilégiant une attitude de tolérance et d’ouverture qui ne fit que se renforcer au XIV
e siècle.
La perte des dernières places fortes de Terre sainte jusqu’à la chute finale d’Acre en 1291, prises par les Mamelouks, donna à Chypre un nouvel essor. Sous le règne d’Henri II (r. 1285-1306 et 1310-1324), de nombreux réfugiés s’établirent à Chypre et le commerce se replia sur l’île, assurant la fortune de la ville de Famagouste, considérée alors comme la nouvelle Acre. Le roi, victime d’une conjoncture difficile autour des années 1300 qui l’avait amené à créer un impôt touchant toutes les catégories sociales, suscita l’opposition de certains des barons qui l’écartèrent, portant son frère Amaury au pouvoir en 1306. Henri II dut s’exiler, mais revint après l’assassinat d’Amaury en 1310 et reprit le pouvoir. Il mena une politique réformatrice qui stimula la prospérité de l’île. Le règne de son successeur Hugues IV (r. 1324-1359) est marqué par la même richesse, dont témoignent les comptoirs de marchands de tous horizons, Génois, Vénitiens, Pisans, Catalans, Arméniens, Syriens entre autres. Dans sa politique religieuse, le roi instaura un véritable respect de l’indépendance des communautés en plaçant Grecs et Latins également sous sa protection, surtout après le miracle de la Croix de Tochni en 1340, une relique grecque –le bois de la Croix- ayant rendu la parole à la reine. Son successeur Pierre Ier (r. 1359-1369) tenta de relancer la croisade, effectuant un long voyage auprès des cours européennes pour chercher des appuis. Il réussit à monter une expédition et prendre Alexandrie aux Mamelouks en 1365, succès coûteux et sans suite, bien que célébré en Occident comme un exploit. Le souverain fut loué comme le preux chevalier par excellence. La fin du règne fut pourtant marquée par la multiplication des mécontentements, et Pierre fut assassiné par des membres de son entourage.
Le règne de Pierre II (r. 1369-1382) marque le début du déclin de l’île. Après une régence de deux ans durant la minorité du roi, Pierre II fut couronné roi de Chypre à Nicosie en 1371 et roi de Jérusalem à Famagouste en 1372. Lors de cette dernière cérémonie, un conflit de préséance opposa Génois et Vénitiens et dégénéra en rixe sanglante. S’estimant lésés, les Génois ravagèrent l’île et s’emparèrent pendant près d’un siècle de la ville de Famagouste. Des membres de la famille royale furent amenés à Gênes comme otages. A la mort de Pierre II, un frère de Pierre Ier, Jacques Ier (r. 1382-1398) revint de Gênes pour ceindre la couronne d’un royaume ruiné.
Le déclin général de Chypre au XVe siècle est marqué par le règne de Janus (r. 1398-1432), né en captivité à Gênes. Le roi du faire face à des calamités naturelles, des difficultés financières, des affrontements avec les Génois et surtout les Mamelouks, qui ravagèrent l’île en 1426. A la suite de la désastreuse bataille de Khirokitia, le roi capturé dut se reconnaître vice-roi du sultan à Chypre. Les difficultés se poursuivirent sous Jean II (r. 1432-1458), le royaume, ruiné, étant menacé à la fois par les sultans mamelouks d’Égypte et les Ottomans, maîtres de Constantinople à partir de 1453. Enfin vint s’ajouter un problème de succession, Jean laissant une fille, Charlotte, et un fils illégitime, Jacques. A la mort du roi, Charlotte (r. 1458-1460), mariée au duc Louis de Savoie, fut couronnée reine. Chassée par son demi-frère Jacques, avec l’aide du sultan mamelouk, Charlotte revint en Occident et transmit ses droits aux ducs de Savoie. Le nouveau roi, Jacques II (r. 1460-1473), reprit Famagouste aux Génois en 1464 après un long siège, mais lui aussi dut faire face à de nombreuses difficultés, complots des partisans de Charlotte, disettes, problèmes financiers…
Sous la pression de Venise, il épousa en 1471 Catherine Cornaro, d’une noble famille vénitienne possessionnée dans l’île. Si Catherine n’avait pas d’enfants, Chypre reviendrait à la Sérénissime. Or, quelques mois après son mariage, Jacques II mourut, peut-être empoisonné. Catherine mit au monde un enfant posthume, Jacques III, qui décéda au bout de quelques mois, en 1474. Le règne de Catherine (r. 1474-1489) fut marqué par deux difficultés, la tutelle de Venise qui l’empêchait de se remarier, et l’opposition des barons chypriotes qui voyaient se profiler la fin de l’indépendance de l’île. Venise finit par contraindre la reine à l’abdication en 1489 et administra directement l’île jusqu’à sa prise par les Turcs en 1571. (r. 1460-1473), reprit Famagouste aux Génois en 1464 après un long siège, mais lui aussi dut faire face à de nombreuses difficultés, complots des partisans de Charlotte, disettes, problèmes financiers… Sous la pression de Venise, il épousa en 1471 Catherine Cornaro, d’une noble famille vénitienne possessionnée dans l’île. Si Catherine n’avait pas d’enfants, Chypre reviendrait à la Sérénissime. Or, quelques mois après son mariage, Jacques II mourut, peut-être empoisonné. Catherine mit au monde un enfant posthume,
L’administration vénitienne fut marquée par une reprise en main de Chypre, fortement menacée par les Ottomans. Elle relança la construction publique, avec principalement la réalisation de puissantes fortifications, mais aussi des travaux ponctuels sur les édifices religieux (restauration de Sainte-Sophie après le tremblement de terre de 1491, reconstruction de la cathédrale grecque de Nicosie, édification du monastère d’Ayia Napa, par exemple). Malgré ses efforts, elle ne put empêcher les Ottomans de débarquer à Chypre en 1571. Ceux-ci ne rencontrèrent pas vraiment de résistance jusqu’à Famagouste, qui ne se rendit en 1571 qu’après un siège long et héroïque
[3]. La perte de Chypre entraîna la constitution d’une grande coalition des puissances occidentales
[4] qui prit sa revanche la même année à Lépante.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire